N'Golo Kanté suscite admiration, tendresse ou... curiosité. Parce que le grand footballeur qu'il est ne nourrit jamais le personnage public.
Depuis bien longtemps, depuis presque aussi longtemps qu'il porte le maillot de l'équipe de France, N'Golo Kanté dispose d'une immense cote de popularité qui, au contraire de certains de ses coéquipiers, ne fluctue jamais. Un sentiment général déjà largement propagé mais qui s'est matérialisé avec force le 9 septembre dernier, un soir de victoire face aux Pays-Bas. Un soir particulier pour le public français qui revoyait, pour la toute première fois depuis le sacre mondial, ses joueurs en tenues de héros. Parmi eux, N'Golo Kanté, discret, sobre, le sourire figé, presque gêné lorsque d'un coup tous les projecteurs se sont braqués sur son entrée. À l'apparition de sa silhouette, à l'annonce de son nom, à son passage devant le trophée et jusqu'à son arrivée au centre du terrain, le milieu de terrain de 27 ans avait reçu une ovation que le Stade de France n'avait jamais exprimée pour qui que ce soit. Une puissance sonore bluffante et continue, témoin de l'expression des 80.000 personnes présentes ce soir-là et qui criaient à coeur ouvert ce que le petit numéro 13 des Bleus représente pour eux. Pourtant, depuis le mois de mars 2016 et sa première sélection, la coqueluche du public français s'est appliquée à cultiver son côté "antistar".
Idole malgré lui
Une chose est primordiale. La légitimité de N'Golo Kanté vient des terrains. De ceux de PH où il n'avait probablement rien à faire en 2010 aux prés les plus regardés du monde, le milieu a toujours joué de la même manière, avec une générosité sans pareille, un sacrifice hors du commun pour ses partenaires et un talent, trop peu souvent évoqué, dans les anticipations et lectures de trajectoires. "Quand un joueur te récupère 15 ou 20 ballons à chaque match, c'est énorme, témoignait Lucas Hernandez en conférence de presse dimanche à Clairefontaine. Avoir un 6 comme lui... C'est une pièce fondamentale". L'analyse mériterait certainement plus de profondeur mais tout y est résumé sur le volet sportif. Ce qui ne suffit pas à tout expliquer. Car il y a autre chose lié au personnage qui intrigue et fascine le public. Et la réponse, que l'on découvrira peut-être mieux un jour, se trouve davantage enfouie dans les traits de sa personnalité, à travers la bienveillance contagieuse qui en ressort au premier coup d'oeil.
N'Golo Kanté sait qui il est, quel footballeur il est, mais il a dû apprendre ce que tout cela représentait. Dimanche à Clairefontaine, la scène a démarré ainsi, par un petit mot adressé par Lucas Hernandez dans le couloir qui précède l'auditorium. "Allez c'est à toi NG", lui a ainsi lancé le Madrilène dans un sourire, comme pour donner de l'élan à son camarade qui ne goûte pas particulièrement l'exercice. Et cela se voit. Moins qu'avant, certes, mais à l'écouter, on comprend toujours très vite que N'Golo Kanté n'aura pas grand chose à nous dire. Comme sur cette histoire de repas partagé avec une famille qui l'avait gentiment invité à manger après l'avoir croisé dans un lieu de culte commun alors qu'il était supposé être dans l'Eurostar pour Paris. "C'est vrai que j'ai été invité par une famille et on a passé un bon moment ensemble", a-t-il simplement commenté. Sans les devoirs d'éducation auquel il répond, il nous aurait certainement répondu que cela ne nous regardait pas. Et c'est à ce moment précis qu'il faut entendre et comprendre N'Golo Kanté, pas le personnage public auquel on croit s'adresser. "Il n'aime pas ça, témoigne un de ses proches. Il ne veut pas que l'on parle de lui pour autre chose que ce qu'il fait sur un terrain. Peu importe à quel niveau il se hisse, il ne voudra pas que la frontière qui existe entre lui et son métier disparaisse". L'intention est fondamentalement louable mais casse tellement les codes du monde auquel il appartient qu'elle surprend et agace parfois.
Dans la réalité, aucun des joueurs de son rang ne nourrit si peu le personnage public qu'il représente. "Depuis pas mal de temps je reçois de la sympathie et des compliments de la part des supporters, reconnaissait-il au micro. J'apprécie mais je prends du recul là dessus". Habitué à se cacher derrière des formules bien orchestrées, N'Golo Kanté va cette fois-ci déroger à la règle pour conclure son intervention : "Je ne suis qu'un joueur qui ne va pas changer leur vie". Les mots sont forts, parce qu'il sont faux mais surtout parce que N'Golo Kanté aurait souhaité qu'ils fussent vrais. "En réalité il est totalement conscient de l'impact qu'il a sur les gens mais il n'en veut pas. Il ne veut pas représenter autre chose qu'un joueur de football. Il aime qu'on l'apprécie en tant que footballeur mais il ne veut surtout pas être idolatré", reprend un de ses intimes.
Une volonté réelle, profondément ancrée en lui, dans les racines de son éducation, de ses croyances et de son mode de vie. Lorsque la question d'un transfert au PSG s'était posée l'été dernier, l'un des points cruciaux de sa réflexion portait d'ailleurs sur ce à quoi aurait ressemblé sa vie à Paris... Sportivement, N'Golo Kanté n'aurait pas dit non à un nouveau challenge, en particulier après le titre mondial qu'il a mis quelques semaines à digérer. Entre autres raisons, le joueur de Chelsea s'est convaincu de rester loin d'une agitation qu'il ne se sentait pas capable de marier avec sa vie hors des terrains. Celle qui lui appartient et qu'il ne veut absolument pas partager. "Vous verrez, quand il aura terminé sa carrière, il disparaîtra. Il ne cherchera pas à exister à travers autre chose", conclut son ami. Par chance, il nous reste encore un peu de temps.
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