COUPE DU MONDE - Star incontestée de son équipe nationale, Luis Suárez semble lancé à pleine vitesse dans son troisième Mondial avec l’Uruguay. Les forces du Pistolero ? Susciter la polémique, manier l’art du trash-talk et lutter pour atteindre les objectifs, encore et toujours. À tel point que le buteur semble désormais taillé pour écrire un chapitre manquant à son vécu : une demi-finale.
L’homme arbore un sourire en coin, comme souvent. Le monde du football le sait : Luis Suárez est un malin, et ses paroles narquoises avant d’affronter la France se boivent comme du petit lait. En l’occurrence, Suárez répond au sentiment d’appartenance ressenti par Antoine Griezmann envers l’Uruguay, qu’il considère comme son "deuxième pays".
"Antoine dit qu’il est à moitié uruguayen, mais je peux vous dire qu’il est bien français, et qu’il ne sait pas ce que signifie le sentiment uruguayen, déclare Suárez. Il ne sait rien des sacrifices et des efforts que l’on fait enfant là-bas pour réussir dans le foot. Nous sommes une petite population, nous le ressentons tous. Il y a les traditions, la façon de parler… Mais la sensation d’être Uruguayen est vécue d’une autre manière." Le message est passé.
Le braqueur du siècle
Si Suárez utilise sa salive pour établir sa vérité sur l’identité nationale, c’est avant tout pour débuter un match avec une atmosphère préchauffée. Flirter avec la ligne blanche et jouer avec les règles, Suárez sait le faire depuis ses premiers pas en Coupe du monde. Rappelez-vous de son sauvetage de la main sur sa ligne contre le Ghana en 2010. Illégal ? Oui, mais pas scandaleux pour autant. "La main de 2010, je ne vois pas cela comme une mauvaise chose, explique Martín Lasarte, ancien entraîneur de Luis Suárez au Nacional Montevideo. Dans le football, une faute est pénalisée. En l’occurrence, Luis a payé cette faute : il s’est fait exclure et ne pouvait pas jouer pour la suite du tournoi. Il n’y a rien d’injuste…" Suárez était-il le principal responsable de l’élimination du Ghana ? Une bonne fois pour toute, non.
En revanche, Luisito s’est mis dans l’embarras au moment de dépasser les bornes pour avoir croqué l’épaule de Giorgio Chiellini au Brésil quatre ans plus tard. "C’était un problème, confie Lasarte. Nous avions parlé de cela ensemble, il devait se soigner. Là, on ne parlait plus d’une sanction sportive, ça allait bien au-delà. Depuis l’extérieur, il était considéré comme un délinquant. La vérité, c’est qu’il était un jeune homme insouciant et prêt à tout pour gagner, quitte à faire des erreurs."
Cette erreur-là n’est pas anodine, puisqu’elle lui coûte quatre mois d’interdiction de jouer au football, ainsi qu’une interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive et l’obligation quitter sur-le-champ le camp de base de l’Uruguay. De quoi faire réfléchir sur sa personne et la source de son comportement sulfureux.
" Je ne suis plus obligé de contenir toutes ces émotions en moi"
Dans son autobiographie Ma ligne de conduite publiée en octobre 2014, Suárez explique qu’il suit un traitement spécifique. "J’ai l’impression qu’ils (les médecins, N.D.L.R) m’aident à comprendre que je ne suis plus obligé de contenir toutes ces émotions en moi, que je n’ai plus à supporter le poids des responsabilités quand je suis sur le terrain." Le sens des responsabilités, Suárez l’a appris très tôt à Montevideo.
Issu des quartiers populaires de la capitale, le garçon de 15 ans joue chez les espoirs du Nacional quand il rencontre Sofia, jeune fille de 13 ans venue d’une famille plus aisée, par le biais d’un ami commun. Elle habite à Solymar, à quarante kilomètres de Montevideo. Pour s’y rendre, le joueur demande à son dirigeant de lui financer chaque aller-retour. En clair, Luis et Sofia tombent amoureux l’un de l’autre.
"Sans elle, j’aurais collectionné les mauvaises fréquentations, explique Suárez. Je ne serais pas le même." Victime d’une éducation qu’il juge lui-même "chaotique", Luisito va pourtant prendre une gifle au moment où Sofia lui annonce qu’elle quitte l’Uruguay pour Barcelone, en Espagne. "Avec Luis, nous marchions souvent ensemble pour parler du football, de la vie, explique Lasarte. Et déjà à l’époque, il me disait qu’il souhaitait jouer à Barcelone."
La passion pour le Barça ? Peut-être, mais c’est avant tout sa passion pour Sofia, partie en 2003, qui prime. "Quand je lui ai dit au revoir à 16 ans, je pensais que je ne la reverrai plus jamais, décrit Suárez. Le jour où elle est partie, j’ai pleuré. (…) Un mois après son départ, elle m’a appelé pour me dire que cette situation la rendait très triste. Elle m’a donné un ultimatum : ‘Si tu ne viens pas à la fin de l’année, nous ne nous reverrons plus jamais.’ Elle ne me laissait pas le choix."
Réfléchir deux fois
Voilà comment s’est forgée la force de caractère de Suárez : grâce à l’amour de sa bien-aimée. En décembre de la même année, il finance un voyage en Europe et passe le réveillon de Noël en sa compagnie. Quinze ans plus tard, le voilà numéro 9 du FC Barcelone aux côtés du quintuple Ballon d’or Lionel Messi, mais surtout heureux père de deux enfants, sa fille Delfina et son fils Benjamín auprès de Sofia, la seule femme qu’il a toujours aimée.
Contre la France, Luis Suárez va maintenant disputer un nouveau quart de finale de Mondial après celui de 2010 en Afrique du sud. Et s’il fera tout pour aider l’Uruguay à intégrer le dernier carré, Suárez tentera de goûter au plaisir de participer activement à une demi-finale sans avoir, cette fois-ci, à le payer de sa personne.
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